Charles VI, notre bien-aimé roi fou

Le roi Charles VI n’est en effet pas très connu – hormis pour sa folie – mais il est intéressant
I. Un début de règne prometteur, mais sous l’ombre de ses oncles et de la folie:
- Charles VI, jeune roi au milieu de la guerre de Cent Ans
Les auspices sous lesquels commença le règne du jeune blondinet Charles VI étaient en fait plutôt prometteurs : la France n’avait jamais été aussi puissante. Charles V, dont on évoquait le règne prestigieux au travers de Du Guesclin, avait repris la plupart des territoires français aux Anglais et presque ramené la paix. A sa mort en 1380, son fils de 12 ans monta sur le trône, encadré par ses 3 oncles-ducs qui assuraient la régence mais qui se révélèrent assez contrariants :
- l’aîné (duc d’Anjou) vola le trésor royal pour récupérer le royaume de Naples ;
- le second (le duc de Berry, très connu pour son magnifique livre d’Heures) poussa le jeune roi à rétablir les impôts – dont la raison d’être officielle, c’est-à-dire la guerre contre les Anglais, avait disparu – supprimés par Charles V, provoquant ainsi de nombreuses révoltes;
- et enfin le dernier, le plus puissant, le duc de Bourgogne, gouvernait de facto le Conseil de Tutelle et avait écarté les anciens conseillers de son père, de grands bourgeois juristes ou financiers qui avaient fait la gloire du règne précédent, isolant ainsi le jeune Charles.
En 1382, le rétablissement des impôts conduisit à une période de soulèvements populaires généralisés : par exemple, à Paris, les habitants exaspérés s’emparèrent de 2000 maillets de plombs (lourdes armes de défense) lors de la révolte des Maillotins, gardée en mémoire parce que, pour faire pénitence, ils se mirent en file jusqu’à la Porte Maillot qui leur doit son nom. Charles VI et ses oncles réussirent heureusement à redresser la situation, et la paix et la prospérité revinrent progressivement.
Atteignant 20 ans en 1388, Charles réussit alors à se débarrasser de ses oncles : profitant d’une grande assemblée du Conseil royal, où un ancien fidèle de son père demanda publiquement si Charles n’était pas en âge de gouverner seul, il remercia ses oncles – qui, pris au dépourvu, ne purent que s’incliner – et rappela les “Marmousets”, c’est-à-dire les anciens conseillers. Bien joué Charlie.
- La méfiance envers ses oncles et son frère & la crise de folie dans les forêts du Mans
- En juin 1392, une tentative d’assassinat* est menée contre son très fidèle connétable (=chef des armées) (le récit de cet attentat est en note de bas de page, parce qu’il est trop amusant pour que je vous en prive) : l’enquête mène vers le duc de Bretagne, qui abrite le criminel – et Charles VI, furieux, a l’intention de saisir cette occasion pour affirmer son pouvoir royal contre un grand suzerain.
- Too bad : pour cela, il a tout de même besoin de l’aide de ses oncles-énervants-et-puissants, afin qu’ils lui donnent des troupes. Et évidemment, les oncles en question sont moyennement pressés d’aider leur neveu (“si si, on veut t’aider, mais on va d’abord discuter interminablement de la pertinence de tes décisions, d’accord?”) ; même Louis, son petit frère dont Charles est très proche, semble tout à coup bizarrement esquiver la décision : a-t-il été acheté?
Charles est tourmenté; il n’a plus personne à qui se confier et il a l’impression de devenir fou – d’autant qu’il fait une chaleur étouffante, en cet été 1392, et que les interminables réunions où on ne décide rien (je sais, ça vous rappelle hier au boulot) lui font perdre la patience et la raison. Pour couronner le tout, il contracte une fièvre jaune; bref, quand il réussit finalement à mettre en marche les armées – visiblement bien à contrecœur – contre la Bretagne, il a l’atroce sensation qu’il est trahi de toutes parts et que, peut-être, il s’achemine carrément vers un piège.
- En pleine forêt
de Malcombedu Mans, se produit tout à coup un événement qui achève de le perturber : un pauvre hère, lépreux vêtu de guenilles, saisit la bride de son cheval et lui crie : «Arrête, noble roi, tu es trahi ! ». Le lépreux est écarté, mais il s’égosille encore longtemps et Charles, profondément troublé, s’enfonce dans l’hébétude, écrasé de chaleur et de surnaturel. - C’est à ce moment-là qu’un de ses gens d’armes, peut-être endormi, laisse tomber sa lance sur l’armure du soldat voisin : brutalement sorti de sa torpeur par le fracas, Charles, écumant, hurlant, se jette tout à coup sur son frère pour le tuer. Louis réussit à se sauver, mais Charles, frénétique, s’en prend à son escorte entière. Tout le monde est terrifié : comment maîtriser le roi sans le combattre? Pendant presque une heure, enragé, Charles blesse, crie, tue quatre hommes – avant qu’enfin, on arrive à le désarmer et le ligoter. Les yeux révulsés, la bave aux lèvres, il s’évanouit. On le croit mort : il ne faisait que commencer une longue période de folie.
Un médecin compréhensif et très en avance sur son temps (car à l’époque, les médecins soignaient la folie essentiellement par des procédés totalement farfelus – voire malhonnêtes[1]) réussit à le calmer en interdisant qu’on le contredise et en apaisant sa paranoïa : Charles, progressivement, retrouve la raison. Jusqu’à ce que…
II. La folie de Charles VI se développe
- Le Bal des Ardents :
- Lui et 5 de ses compagnons revêtent donc une tenue, cousue à même leur peau, qui est enduite de poix et sur laquelle on a collé, par de l’étoupe, des crins de lin afin qu’ils aient l’air de monstrueuses bêtes velues. Pour achever de se rendre effrayants, ces petits génies s’enchaînent les uns aux autres (sauf le roi) et dansent une sorte de farandole (=un charivari) pour amuser ces dames.
- Idée brillante : bien sûr, comme le frère du roi approche une torche et que rien n’est plus inflammable que la poix + le lin + l’étoupe, l’un d’eux prend soudain feu – et, très vite, c’est l’apocalypse : incapables de se dégager, ils s’embrasent tous un à un, prisonniers de leurs chaînes et de leur déguisement cousu.
- Charles hurle, hagard, terrifié – il est bien évidemment repris, dans la seconde, par la démence. La femme du duc de Berry – qui avait 14 ans et visiblement pas seulement un demi-cerveau -, s’empare de lui et le recouvre tout entier de sa large robe pour étouffer ses flammes. Quelle belle gosse. Les autres (sauf un qui en réchappe) meurent dans d’atroces souffrances, immédiatement ou dans l’agonie des jours qui suivent…

- Le long et pénible règne d’un roi fou qui se savait fou:
Je vous embrasse follement et ardemment,
A mercredi prochain 8h00!
Aude
ps: le quizz!
*La tentative d’assassinat de Clisson, ou L’Anecdote à l’origine de la “Rue des Mauvais Garçons” (4ème arrondissement).
- Après avoir préparé son guet-apens en pleine nuit, comme tous les méchants de la terre, Pierre de Craon décida, au lieu de tuer directement le gentil, de lui faire d’abord un discours pour lui dire qu’il allait le tuer : « À mort, à mort Clisson, cy vous faut mourir (…) Je suis Pierre de Craon, vostre ennemi. Vous m’avez tant de fois courroucé, que cy le vous faut amender.» (Visiblement il n’avait pas vu les films qui disent de pas faire ça).
- Du coup, évidemment, cela donne à Clisson le temps de se défendre – mais, tout de même, Craon a 40
voleurshommes avec lui, donc Clisson, qui est seul, finit par être grièvement blessé et tombe, la tête la première & plein de sang, sur le seuil d’un innocent boulanger qui était tranquillement en train de faire cuire son pain au milieu de la nuit, comme tous les innocents boulangers. - Evidemment, toujours comme les méchants des films, MéchantCraon, au lieu d’achever Clisson pour être sûr qu’il soit mort (bah non, trop facile, et puis on sortirait de la classique des films), préfère considérer que Clisson doit être mort : il s’enfuit aussitôt avec ses 40 mauvais garçons.


Bonjour j’ai lu l’histoire passionnante de Charles VI que je connaissais déjà un peu. J’ai relevé un phrase qui m’a interpelé : vous dîtes que Charles VI est un capétien alors que pour moi c’est un Valois, les derniers capétiens ayant disparu début XIVème (merci Maurice Druon). Avez vous une autre analyse (les Valois étant tout de même apparentés aux Capétiens) ?
PS : Merci de transformer l’Histoire en Histoire drôle, c’est plus rigolo !
Thomas Bouchard
thbouchard@hotmail.com
Bonjour Thomas,
Ta remarque est tout à fait exacte, il s’agit bien entendu d’un Valois – ma référence aux “Capétiens” était juste dans le sens général (toute la dynastie de nos rois, de Hugues Capet à Louis “Capet” (=nom que les Révolutionnaires lui donnèrent sur son état civil quand il ne fut plus roi) sont des Capétiens, mais seuls les rois de Hugues à Charles IV sont des Capétiens directs.
Bref c’était un terme général pour dire “nos rois du deuxième millénaire”! (par contraste avec les Mérovingiens et les Carolingiens, qu’il est très difficile de connaître tous)
En tout cas merci pour ton gentil commentaire! Je suis ravie que cela t’ait plu, cela me rend très heureuse.
Aude